Globe vésical non détecté en maternité

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Globe vésical non détecté en maternité

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  • Un médecin discute avec une patiente à l'hôpital qui tient son nouveau-né dans les bras - La Prévention Médicale

Les dysfonctions vésicales induites par les différentes techniques anesthésiques sont connues par les professionnels de santé. Et pourtant, certaines rétentions urinaires postopératoires passent encore "à côté des radars" avec des impacts graves pour la qualité de vie des patientes, et des conséquences psychologiques induites importantes.

Auteur : Bruno FRATTINI – Ingénieur en prévention des risques - MACSF / MAJ : 20/05/2025

Présentation du contexte et de la problématique

Mme F., 28 ans, est enceinte de son premier enfant… Elle ne présente ni antécédents médicaux, chirurgicaux ou familiaux… Son Indice de Masse Corporelle (IMC) de début de grossesse est de 30. Sa grossesse se déroule sans événement particulier, elle a été suivie par une sage-femme en parcours de médecine de ville, et depuis le début du 3e trimestre, elle est prise en charge par une gynécologue-obstétricienne de la maternité dans laquelle il est prévu qu’elle accouche.  

L’échographie du troisième trimestre, faite à la 34e semaine d’aménorrhée (SA), annonce un poids fœtal au 90e percentile… elle ne présente pas de diabète gestationnel… sa prise de poids est de 12 kg… le praticien explique ces éléments à la parturiente : c’est un grand bébé, de sexe masculin et les parents pour le cas présent sont grands… ce nouveau-né n’est pas classé comme macrosome…

La surveillance à venir est expliquée aux parents, à savoir une consultation intermédiaire avec une sage-femme de la maternité pour un examen obstétrical de contrôle avec mesure de la hauteur utérine et réalisation d’une échographie intermédiaire avant une échographie à la 39e SA pour une dernière évaluation de la taille et du poids avant de décider des modalités de l’accouchement.

La suite de la grossesse est sans autre particularité. L’échographie de 39 SA est réalisée par le praticien, et retrouve un gros bébé, avec un poids estimé aux alentours de 4 kg…, une hauteur utérine à 36 cm… la gynécologue-obstétricienne ne classe pas cet enfant comme macrosome…
Il est proposé aux jeunes parents soit un accouchement par voie basse avec épreuve du travail (informations données sur les événements redoutés), soit un accouchement par césarienne (informations données sur les risques de cette modalité).

Les futurs parents choisissent l’accouchement par voie naturelle en sachant qu’une césarienne au moindre problème sera proposée…

Quelques jours plus tard, la famille F. se présente à la maternité : la parturiente décrit des contractions régulières toutes les 3 à 4 minutes depuis 2 heures, explique qu’elle a eu l’impression d’avoir des pertes liquidiennes en allant aux toilettes, mais en petite quantité…

Elle est installée en salle de travail, un monitoring fœtal est branché, le Rythme Cardiaque Fœtal (RCF) est normal, le toucher vaginal trouve un col effacé, souple, avec une dilation à 4 cm, mais n’objective pas une rupture spontanée des membranes. Le partogramme retrouve des contractions toutes les 4 minutes, leur cotation douleur est évaluée à 5/10 par la future maman.

Une voie veineuse est posée, et une analgésie péridurale proposée que la jeune femme accepte… cette dernière est installée sans difficulté par le médecin anesthésiste réanimateur (MAR)… la cotation douleur 20 minutes après la pose est à 0/10.

La surveillance du travail de la jeune femme montre une bonne évolution de la situation avec une dilatation régulière de 2 cm par heure, une tête du fœtus qui sollicite bien le col… une dilatation complète avec un début de progression dans la filière génitale jusqu’en partie moyenne…

La sage-femme (SF) prend alors la décision de s’installer pour accoucher la patiente… après plusieurs efforts expulsifs pendant 25 minutes, la SF objective une non-progression du fœtus dans la filière génitale et appelle le chef de garde… après avoir consulté le dossier, examiné Mme F., il décide de réaliser une extraction instrumentale : un forceps de Tarnier est réalisé, permettant la naissance d’un nouveau-né de 4100 g avec quelques difficultés au moment de la libération des épaules obligeant le praticien à réaliser une "large" épisiotomie.

La sage-femme s’occupe de l’enfant qui va très bien avec un score d’Apgar à 7 à la première minute, puis à 10 très rapidement…

Le gynécologue-obstétricien explique à la patiente le déroulé de l’accouchement, et lui précise que l’épisiotomie est de belle taille, mais que le sphincter anal est intact. Il demande à la sage-femme de faire appeler le médecin anesthésiste réanimateur de garde, lui explique la situation et lui demande de prévoir une analgésie multimodale pour permettre un confort optimal les 48 à 72 heures suivantes.

Le MAR prescrit alors l’association d’un antalgique de palier 1 et de palier 2, et une dose de morphine à administrer dans le cathéter de péridurale, avec comme consigne de ne pas le retirer immédiatement comme le veut le process de soins, mais de le garder pour réaliser une analgésie complémentaire si nécessaire. Il demande que l’on place un obturateur pour préserver la voie veineuse.

Les suites sont simples : après les 2 heures de surveillance post-accouchement en secteur naissance, la jeune maman est transférée en suites de couches vers 11 h. La consigne lui est donnée d’attendre obligatoirement l’équipe soignante pour réaliser le premier lever afin d’évaluer les capacités physiques de la parturiente avant de lui laisser toute autonomie dans ses futurs déplacements.

La surveillance de la douleur objective une évaluation à 2/10. Mme F. ne se plaint de rien, et les soins éducatifs concernant l’allaitement maternel sont prodigués dans la continuité de ceux déjà dispensés en secteur naissance. Le premier lever est bien réalisé avec l’IDE du service, et objective l’absence de bloc moteur pour la déambulation.

L’équipe de nuit, à la prise de son service, refait un tour de soins complet : la douleur est évaluée à 3/10, pas de difficulté à la déambulation, l’allaitement semble sans difficulté…

Vers 4 h du matin, après la tétée, la parturiente appelle l’équipe soignante et leur indique qu’elle a envie d’uriner mais qu’elle n’y arrive pas… l’IDE réalise un Bladderscan qui annonce un résidu vésical à 1500 ml… le chef de garde est prévenu qui demande que l’on fasse un sondage évacuateur qui recueillera 1450 ml d’urines claires… Le praticien de garde et le MAR sont prévenus.

Dans les suites, la patiente ne retrouve pas de mictions spontanées : le diagnostic de claquage de vessie est alors posé et le principe des auto-sondages est retenu et enseigné à Mme F. pour permettre un retour à domicile. 

Elle sortira de la maternité à J7 avec des auto-sondages maîtrisés et un bilan urodynamique à réaliser…

Méthodologie et analyse succincte de cette problématique

Mme F. a envoyé un courrier de réclamation à la Direction Générale de l’établissement de santé.

Cette plainte a été traitée en Commission des Usagers à plusieurs reprises devant l’absence de consolidation de cette complication médicale. Cet événement indésirable (EI) a été classé dans la catégorie des EI grave (EIG). Faisant partie des événements évitables, il est décidé de réaliser une analyse dans le cadre d’une démarche de gestion des risques.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.

La méthode ALARM, méthode d’analyse de première intention, labellisée Haute Autorité de Santé, est retenue pour déterminer les causes profondes de cet incident.

Cause immédiate

C’est la patiente qui a signalé une douleur abdominale lors d’un tour de soins. La cause de cette rétention urinaire retenue par les experts est le blocage du sphincter vésical favorisé par la morphine administrée par voie péridurale (complication connue de cette technique anesthésique).

Causes profondes


Les conséquences pour la patiente sont importantes :

  • Une perte de confiance envers l’équipe soignante pour un potentiel nouvel accouchement…
  • De nombreux épisodes de rétentions urinaires impactant la vie privée de cette jeune maman avec des auto-sondages pluriquotidiens…
  • Un post-partum immédiat entrecoupé de bilans urodynamiques, de séances de kinésithérapie périnéale… qui n’obtient qu’une récupération partielle après 2 mois de rééducation.
  • Un arrêt de travail prolongé avec de nombreuses hospitalisations générées par cette complication en plusieurs actes…
  • Un syndrome dépressif qui va grandissant devant l’absence de solution et donc de consolidation de cette complication.

Les conséquences pour l’établissement :

  • Une prolongation de l’hospitalisation conventionnelle au vu de la complication urinaire.
  • Une réclamation de la patiente.
  • Des commentaires sur les réseaux sociaux défavorables en termes d’image…
     

Barrières de défense

Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.

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Lors des différentes discussions lors de l’analyse collégiale de cet événement indésirable, l’équipe médico-chirurgicale a précisé que la détection d’un globe vésical sur la base simple d’éléments cliniques n’était pas chose aisée, et qu’elle pouvait être faussement négative.

L’utilisation du Bladderscan, appareil portable pouvant mesurer le volume de la vessie (type BladderScan), permet une mesure non traumatique avec une grande fiabilité.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

  • Resensibiliser les professionnels à déclarer les événements indésirables ou les événements porteurs de risques pour permettre d’identifier les vulnérabilités dans les organisations de travail, les procédures et protocoles de soins.
  • Organiser des retours d’expérience à partir des événements indésirables analysés : il a été décidé de faire le ¼ heure de la sécurité tous les jeudis matin avec une affiche en relais pour les professionnels absents. Ce temps court permettra la diffusion de messages clés.
  • Rédiger une procédure de surveillance de la rachianesthésie avec les effets et/ou complications à détecter.
  • Sensibiliser les soignants à dispenser le bon niveau d’informations au patient pour qu’il devienne acteur de leur prise en charge.

Conclusion

Une fois encore, "le diable est dans le détail". Cette complication en lien avec l’analgésie péridurale à la morphine a des conséquences dramatiques pour cette jeune patiente. À ce jour, même si son pronostic vital n’est pas engagé, son confort quotidien est incertain avec toutes les conséquences constatées. Pourtant, les données médicales permettaient de l’éviter avec une surveillance adaptée.

L’information donnée au patient doit être complète et adaptée à la situation d’autant que dans ce cas précis, cette malade a la capacité de s’approprier les explications des effets indésirables des process de soins.